Vous étiez bien le plus mauvais garnement et le meilleur garçon de la terre.
▬ Le choeur
Noctem et vous :
s'il y a bien quelque chose que ce grand naïf de Louis n'aime pas, c'est qu'on lui sucre son libre-arbitre. Il a toujours plié la patte pendant son enfance et adolescence, s'est toujours présenté comme un modèle et successeur des souhaits et volonté de ses parents, ce n'est pas pour que, enfin libre, on lui impose une destinée. Et quelle destinée. Il estime n'avoir rien faire pour écoper d'un futur sombre, et s'il en a la possibilité, luttera en bel idiot contre l'autorité.
Votre camp et vous :
il considère ces personnes comme les seules capables de se dresser pour leurs opinions, ce qui est à son sens la plus honorable des attitudes. Décider de sa vie et la prendre en main devrait être du ressort de chacun, ce qui sont passifs face à l'obligation ne savent pas ce qu'ils manquent – pour autant, ils ne hait pas ces derniers. Leur comportement l'attriste tout au plus.
Votre degré d'engagement :
on l'aura bien compris, il est tout à fait honorable. Il faut dire que tantôt Louis tente juste d'ignorer son destin, par facilité, tantôt il se redresse et prend son courage à deux mains. S'il est versatile son engagement, en cas de besoin, demeure intact ; il fera tout ce qui est en son pouvoir pour mériter un
happy ending, ne voulant pas écoper d'un même destin répété.
Votre plus grande peur :
elle est très simple, et c'est celle de finir seul. Ce n'est pas son destin à proprement parler, pour autant, c'est un scénario très probable.
La bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu'on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps.
▬ Maître Blazius
Il était pour Louis tout à fait inhumain de vouloir imposer aux jeunes gens comme lui de travailler ainsi quand les lumières de printemps filtraient à travers les arbres en fleurs. Ça sentait la pluie moite et chaude, l'ivresse comme les lèvres d'une femme. Plus que tout, il était inhumain pour Louis Baron de vouloir le faire compléter son ultime examen lorsque ses dernières déambulaient à sa fenêtre, si légèrement vêtues de nouveau, d'une façon si délicieuse et oubliée de son cerveau encombré de propriétés rébarbatives.
Qu'ils étaient beaux les temps où l'on devenait médecin à la vingtaine et qu'il nous restait la vie pour batifoler dans les villages de son enfance. Lui détestait la ville, détestait les quatre murs de son appartement dans lequel il se cloîtrait afin d'y achever les révisions qui le mèneraient enfin à la liberté – qu'il était drôle, Louis, à penser comme un enfant que la vie d'adulte serait la partie la plus amusante. Alors il quitterait tous ces gens anonymes pour la campagne. Alors il trouverait l'amour, peut-être même, enfin.
▬ Et si tu lâchais ces bouquins puants et venais t'occuper de ma propre anatomie ?Fut-elle Hélène. Diane. Jeanne. Émilie. Chacune était
la bonne, celle qui s'écrivait en capitales. Chacune à sa façon. Elles avaient toutes une façon d'être irrésistibles et de le faire tomber à leur pieds, ou en l’occurrence, au pied du lit pour baiser leurs chevilles nues, délaissant les révisions. Chaque chose en son temps. Et dans la tête de Louis, dans sa liste des priorités, réussir sa vie en auscultant des poitrines inconnues ne pouvait être pareil achèvement que de pouvoir se blottir dans celle aimée.
Alors elles avaient été nombreuses, à la place d'Hélène, toutes traitées également, chevilles nues baisées. Toutes ne duraient pas, mais ce n'était pas sa faute ; il y avait du sentiment, du vrai, pour chacune d'entre elle, il était vrai. Mais la vérité, c'était que Louis, lui, était amoureux de l'amour.
Cela ne plaisait pas à tout le monde.
▬ Je vais devoir m'enfuir pour quelques heures. ▬ Ton père ?▬ Mon père. Hélène, mutine, glissa sa main contre sa tête, à l'arrière de son oreille.
▬ Brave fils à papa. ▬ J'ai passé la nuit à te satisfaire, je peux le faire pour une heure et demie et un café avec lui.Étonnamment, cette dernière rencontre avait quelque chose d'intimement plus fatiguant. Quelle ironie. Toujours était-il qu'il se redressa, et passa évasivement devant un miroir pour se recoiffer. On lui ferait encore la remarque, que cette coupe était trop longue, qu'elle cachait ses si beaux yeux, et comme toujours, il n'en aurait rien à faire ni n'en croirait un mot, car c'était la le rôle d'un enfant face à ses parents. Mais si on connaissait Louis, on pouvait pour autant deviner que peu de temps plus tard, sa coupe aurait été rafraîchie. Sa lutte contre leur autorité était parfois peu active.
Enfin il attrapa sa veste, et eut un dernier regard pour la jeune fille qui s'était relevée et regardait à présent d'un regard vague ses livres de faculté.
▬ Tu seras là ce soir ? ▬ C'est possible. ▬ Je serai de retour tôt, attends moi.▬ Si tu mens je commencerai sans toi.▬ Alors je prendrai peut-être quelques minutes de retard. Un clin d’œil et le voilà parti. Dans les rues il devait avoir cet air de l'homme heureux ayant plus ou moins dormi mais étant bien satisfait de son caractère. Belles journées et belles nuits lui donnaient suffisamment de courage pour avoir à tenir un discours peut-être un peu stérile auprès de ses géniteurs.
Ces derniers étaient bien au rendez-vous, toujours à la même terrasse du même café. Il n'étaient pas du genre à changer la moindre de leur habitude, aussi, rien d'étonnant à cela. Après un bref salut, il prit place à une chaise, et attendit d'entendre à son tour les mêmes constructions ennuyeuses. Qu'est-ce qui était pire, entre être toute ouïe pour eux ou le nez dans ses livres ?
▬ Tu es un peu en retard. Sa maternelle avait toujours été aussi chaleureuse qu'une boule de neige. Du moins, elle l'était toujours plus que son père, si comparaison pouvait être faite.
▬ Autant que peut l'être un bientôt diplômé en pleines révisions.▬ Ou alors c'est cette Marlène, c'est ça ?Son paternel, en pleine illustration de son talent pour retenir les choses importantes. Quel grand médecin faisait-il lui-même, et qu'est-ce que c'était passionnant de le voir réciter le Vidal sans pour autant être capable de se souvenir du nom de la douce et tendre de son fils. Pour excuse qu'elles étaient trop nombreuses. Il commanda un café, et pour Louis de même, ce qu'il n'aurait pas choisi mais qu'il n'eut pas la force de protester.
▬ Hélène, papa. Hélène. Et oui peut-être.▬ Tu as plus important à faire qu'à batifoler à cette période. ▬ Tout comme j'ai mieux à faire que de prendre un café, marmonna-t-il dans sa main, gamin.
Ses parents soupirèrent, et il y eut un moment de silence jusqu'à ce que leurs commandes arrivent, deux minutes plus tard. Là, Pagello père revint à l'assaut, épaulé par son épouse.
▬ Tu auras tout le temps de trouver la bonne une fois établi. ▬ Je pense même qu'elles se bousculeront pour un charmant médecin comme toi. Ou alors tu sais bien que tu serais parfait avec -▬ Si j'avais voulu apprendre la médecine pour connaître l'antre des femmes maman j'aurais fait gynécologue. Oh très malin. Vraiment, Louis, très mâture.
Surtout n'écoute pas la suite. Surtout n'entend pas ce prénom, celui qui se répète en toi depuis des années, depuis toujours.
La remarque n'avait fait qu'accélérer un flot de reproches tout à fait fatiguant, qui l'éreinta plus que prévu. Dans quelques mois, tout serait fini, quand il serait enfin médecin, il n'aurait plus à écouter quoi que ce soit. Il n'écouterait plus personne lui parler de sa vie, de l'amour et de ses choix.
Pour l'heure, il avait juste besoin de temps pour lui avant de retourner à son appartement. Il fit un détour par un parc quelconque, espérant pouvoir capturer l'espace d'un instant un brin d'air. Tout ça était épuisant, bien qu'il n'eut jamais rien fait pour simplifier les choses ; pour quelqu'un de relativement intelligent, il manquait tout à fait de maturité. Il aurait pu courber l'échine face à ses parents, sans discuter, et obtenir un peu de paix, mais il fallait, obstiné qu'il était, qu'il mette sa propre touche de protestation. Pas assez pour qu'elle soit convaincante, mais trop pour qu'elle passe sans dégâts.
Il resta là un certain temps, à regarder les enfants jouer dans les bacs à sable, jusqu'à se rendre compte qu'il était tout à fait hors sujet. Et que sourire ainsi à une petite fille qui le ramenait étrangement à quelques souvenirs réconfortants de sa jeunesse évoquait tout autre choses aux mères du banc voisin, aussi il attrapa son sac et entreprit le retour chez lui.
Chez lui fut étonnamment froid quand il y pénétra. Un courant d'air passait par une lucarne laissée ouverte. Appeler le prénom d'Hélène ne fut pas d'un plus grand réconfort.
Pas plus que de trouver un simple post-it sur son oreiller en guise d'au revoir. Et elle n'était certainement pas allée faire une petite course pour revenir d'humeur joueuse ce soir-même. Évidemment.
Et cette fois, Louis ne comprenait pas.
Pourtant, le refrain était toujours le même, fut-il avec Hélène. Diane. Jeanne. Émilie. Oh, elle partaient toutes à un moment ou un autre, pour des raisons qu'il ne connaissait toujours pas. Pour des raisons qu'il ne maîtrisait pas toujours. Pour
une raison qu'il ne pourrait jamais contrôler. Il n'était pas un mauvais type pour autant ; chacune d'elle, il les traitait de son mieux, de tout son amour et sa sincérité. Il ne passait pas d'une fille à une autre pour les collectionner. Le destin ironiquement l'y obligeait. Il les aimait peut-être toujours autant, les laissant aller où bon leur semblait, n'étant ni père ni frère pour elles.
La faute au destin. La faute à la vie. Mais la faute à toi, Louis,
Perdican, regarde toi. Tu es habile et tu sais parler, n'es fier de rien pour autant, quelque part tu serais le garçon à marier. Mais quand tu aimes, elles fuiront toutes. Car quand tu aimes, tu redeviens enfant, naïf et entier. Quand tu aimes, tu en es cruel.
Un juron lui échappa tandis qu'il froissait le papier entre ses mains, amenant ses poings à son front. Ce n'était pas une surprise, il l'avait su dès son entrée dans la pièce ; elle devait partir et finirait par le faire, ça ne l'étonnait pas. Louis avait essayé de ne pas y penser, depuis qu'il avait appris son destin, sa malédiction. Il avait essayé de construire un amour parfait avec quelqu'un comme elle, tout en sachant que ce n'était pas
la bonne. Et que la bonne ne le serait jamais.
Pourtant, rien ne pouvait contrôler quelque chose d'aussi fort que l'amour, n'est-ce pas ?
L'amour, quel qu'il soit, avait bien assez de pouvoirs, maléfiques parfois pour briser quelque chose qu'aussi solide que le destin, ou le pouvoir de Noctem, n'est-ce pas ?
Pauvre gosse de Perdican.