C'était l'amour à sa mort; et la mort à son amour.
▬ Becky
« Tu as peur ? »
Ses cheveux claquent au vent alors que la voiture accélère. Sous la lueur blafarde des phares, la route serpente au milieu du ballet hagard des ombres nocturnes. Ils sont seuls –
perdus dans la nuit de leur amour. « Pour toujours et à jamais. »
Elle sourit. Sa robe de promesse palpite contre sa poitrine alors que son souffle se penche vers le sien. Son soupir se perd dans son rire, et son rire dans le soupir de la nuit.
« Tant mieux. »
Il ne voit pas le virage, le cœur perdu dans ses yeux.
Tant pis.
Ils sont seuls –
perdus dans la nuit de leur tragédie. ________________________________________________________________
Aujourd’hui, j’ai compté :
1) un appartement en désordre ;
2) une boîte de cassoulet à moitié entamée ;
3) deux bières ;
4) une araignée au plafond ;
5) un vieux cookie tombé au fond du canapé ;
6) un programme télé en retard d’une semaine ;
7) vingt-huit publicités dans la boîte aux lettres.
C’est tout ce qu’il me reste de mes économies de jeunesse. Voilà qui met à mal mon projet d’acheter mon propre appartement. Je ne suis même pas sûre de pouvoir payer le loyer de celui-ci à la fin du mois. J’espère que le propriétaire aime les donuts. C’est ainsi que j’ai acheté mon précédent patron. Mais c’était un cas de force majeure : l’autre candidate et son 90D menaçaient sérieusement mes chances d’être embauchée, alors que j’en avais désespérément besoin. Ma colocataire venait en effet de me lâcher, après six mois de loyaux services, parce que je lui avais fait subir un régime végétarien pendant une semaine, à cause d’un pari stupide avec un ami. Mais peu importe. C’était de la concurrence déloyale, et je me devais de rééquilibrer les choses. Or, comme même mon décolleté le plus osé ne semblait pas capable de rivaliser avec son bonnet siliconé – mes petits seins en étaient très outrés –, j’ai dû me rapatrier sur la nourriture, la deuxième grande faiblesse des hommes.
Ma manigance a fonctionné à merveille. Dès le lendemain, j’étais à mon poste, c’est-à-dire derrière un comptoir gras prête à servir des sandwichs gras à des clients gras. J’ai tenu trois mois. Quand j’ai rendu ma démission et que le gérant a voulu en connaître les raisons, je me souviens lui avoir répondu « Je suis désolée monsieur, mais…
1) Mes vêtements sentent l’huile de friture. (!)
2) Mes cheveux sentent l’huile de friture. (!!)
3) Ma peau sent l’huile de friture. (!!!)
4) Mes collègues me haïssent depuis que je vous ai vilement corrompu avec, disent-ils, « mes minishorts de prostituée et mon allure de pimbêche ». Merci les amis.
5) Mes clients ont le Q.I des poulets nourris aux hormones dont je les gave.
6) L’uniforme me fait des fesses d’hippopotame.
7) Trois mois, c’est la date de péremption de ma bonne volonté.
Donc j’ai décidé de vous quitter. »
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Aujourd’hui, maman a téléphoné. C’est ainsi que j’ai appris que :
1) Mon père a étranglé le facteur, croyant que c’était un cambrioleur venu lui voler sa collection de timbres.
2) Le facteur a porté plainte. En conséquence, mes parents ont dû faire appel à un avocat. C’est ainsi qu’ils ont découvert que…
3) Ma sœur doit se marier à la fin de la semaine avec l’avocat en question. Première nouvelle.
4) Du coup, mon père a aussi étranglé l’avocat.
5) Ma mère trouve la situation « cocasse ».
6) Je suis maintenant chargée d’une mission : appeler ma sœur et exiger des explications. Plus des invitations.
7) Sinon, ma cousine qui étudie pour devenir coiffeuse me demande si je voudrais bien lui servir de cobaye.
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Aujourd’hui, ça fait deux semaines que je suis au chômage. Et comme tous les matins depuis deux semaines, j’ai épluché les petites annonces. La recherche a été laborieuse, mais je suis finalement tombée sur une offre d’emploi plutôt intéressante : une maison de retraite à proximité du centre-ville recrute des animateurs pour divertir ses pensionnaires. J’ai téléphoné, obtenu un rendez-vous demain matin à huit heures et demi précises et… acheté des donuts.
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Aujourd’hui, j’ai essayé de faire le bilan de ce premier jour de travail en maison de retraite. Ça donne un peu près ça :
1) Les personnes âgées sont viles.
2) Les personnes âgées sont très viles.
3) Les personnes âgées aiment fouiller dans votre sac à main.
4) Les personnes âgées aiment voler les clefs de votre appartement.
5) Les personnes âgées aiment envoyer des textos salaces avec votre téléphone portable.
6) Mais ce que les personnes âgées aiment encore plus que tout le reste, c’est couper votre carte bleue avec un ciseau pour faire « comme dans les films américains ».
7) Je sens que je vais regretter mes donuts.
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Aujourd’hui, j’ai discuté avec un de mes nouveaux collègues. Une discussion très enrichissante. Vraiment.
1) Toutes les personnes âgées ne sont pas des sadiques en puissance. (!)
2) J’ai juste été gentiment assignée au groupe dit rebelle. (!!)
3) Le groupe dit rebelle est, comme son nom l’indique, composé de rebelles. (!!!)
4) Les pensionnaires qui le constituent ont été mis à l’écart afin qu’ils ne puissent plus entraîner les autres dans leurs bêtises. « Comme un enfant à problèmes est mis à l’écart dans une classe pour ne pas perturber les autres élèves. »
5) Mon collègue pense que c’est injuste de les discriminer ainsi.
6) Mon collègue ne veut pas reprendre le groupe dit rebelle pour autant.
7) Conclusion : mon collègue est un hypocrite, et moi je suis cuite (vive la rime !).
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Aujourd’hui, j’ai eu un rendez-vous chez mon psy. J’en ai résumé le contenu en quelques points.
1) Mon psy utilise des métaphores à la noix telles que « Je vous demande : lait entier ou demi écrémé ? – et vous me répondez jus d’orange ! Ça ne va pas ! ».
2) Mon psy refuse de me diagnostiquer un trouble de la personnalité pour que je puisse faire une mauvaise farce à mes parents à Halloween.
3) Mon psy en a assez que je lui téléphone à des heures indues pour lui demander s’il préfère le thé ou le café.
4) Enfin, surtout la femme de mon psy.
5) Sinon, il préfère le thé, merci.
6) Mon psy trouve les personnalités de mes pensionnaires, que je lui ai décrites brièvement, « absolument épatantes ». Je lui ai répliqué qu’ils avaient massacré ma carte bleue. Maintenant, il veut les rencontrer.
7) « Et votre cauchemar ? » a-t-il demandé à la fin de la séance. « Absolument épatant. » lui ai-je murmuré.
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Aujourd’hui, j’ai demandé à mes pensionnaires ce qu’ils aimeraient faire. J’ai rédigé la liste ci-dessous :
1) Taguer les murs de la maison de retraite. (13 votes sur 15)
2) Brûler la voiture du cuisiner pour se venger des épinards du mercredi midi. (8 votes)
3) Faire des blagues téléphoniques. (12 votes)
4) Aller en boîte de nuit et danser sur du disco. (majorité des votes féminins)
5) S’inscrire sur des sites pour cougars. (majorité des votes masculins)
6) Vendre ses petits-enfants sur eBay. (majorité des votes tout court)
7) Se teindre les cheveux à mon exemple. (3 votes) (En effet, j’ai accepté il y a peu la requête de ma cousine. Mes cheveux devaient être teints en blond platine – c’était ma seule condition. Mais je ne sais par quelle raison mystérieuse, sinon que ma cousine est une incompétente finie, à la place ils sont devenus… complètement blancs. Au moins j’ai trouvé quelle farce je vais faire à Halloween à mes parents.)
J’ai dû néanmoins tempérer leur enthousiasme débordant.
1) Taguer les murs de notre maison de retraite, non. Taguer ceux des autres maisons de retraite ? Oui.
2) Brûler une voiture, non. Crever ses pneus ? Oui.
3) Faire des blagues téléphoniques avec mon portable, non. Avec celui de mon collègue hypocrite ? Oui. (Vengeance !)
4) Plus aucune boîte de nuit ne passe du disco.
5) Pensez à effacer l’historique internet.
6) D’accord, mais seulement s’ils sont très méchants.
7) J’ai dû crier quelque chose comme : « Quelle torture visuelle essayez-vous d’infliger aux autres ? »
Appelez-moi Becky la Dompteuse de Rebelles de soixante-dix ans et plus.