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 les malheurs de Sophie.

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Sophie Rostopchine
Sophie Rostopchine
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Personnage Incarné : sophie rostopchine aka la comtesse de ségur.

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MessageSujet: les malheurs de Sophie.    les malheurs de Sophie.  Empty16.07.12 21:29

Un début dans la vie

Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout.
▬ Breton
les malheurs de Sophie.  RevvQŒuvre principale : Les Petites filles modèles.
Nom, prénom(s) : Sophie Rostopchine
Surnom : Elle n'a pas encore pris la plume ; aussi Sophie n'est pas - encore - surnommée Comtesse.
Âge : 17 ans.
Métier : Lycéenne.
Camp : Neutre.


La Débâcle

Celui qui n'a pas peur n'est pas normal ; ça n'a rien à voir avec le courage.
▬ Sartre


Noctem et vous : Elle ne comprend pas ce que veux Noctem d'elle - Ségur a réservé une fin heureuse aux personnages bons et une fin mauvaise aux mauvais ; rien de comparable aux longues tortures que certains ont offert à leur héros. Il l'effraie - ce que l'on ne comprend pas fait peur ; mais elle n'a rien contre le jeu qu'il leur impose.
Votre camp et vous : Sans camp - très égoïstement, Sophie ne s'est rallié à aucun bord si ce n'est celui de l'acceptation. Elle a quelques griefs contre ceux qui se rebellent, parce qu'elle angoisse de voir ses créations se rallier à eux, alors qu'elle est persuadée au moins que pour sa ménageries d'enfants fictifs, tout ira pour le mieux.
Votre degré d'engagement : Elle surveille ses choses du coin de l’œil, accepte le rôle qui lui est confié - convaincue que ce qui doit arriver, arrivera naturellement et de la main d'une force suprême (celle de Dieu, en l’occurrence).
Votre plus grande peur : Celle de ne pas être digne d’être aimée ; de perdre l'amour qu'elle glane ; bref, des soucis d'affection.


Le Temps retrouvé

La vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui, pour effacer ses traces.
▬ Aragon

Tintement aux rebords du ciel, tintement sur la lune, la nuit était revenue, et courait désormais le long des murs, sur les rebords escarpés des toits, faisait battre ses jambes d'étoiles en sens inverse pour échapper au jour et elle haletait cette nuit, à chaque poignée qu'elle accrochait, à chaque main qu'elle écorchait, elle allait s'épuiser, elle allait mourir et s'écraser, rêves contre terrain bitumée, et on la piétinerait de couvre-feu, de limitations de vitesse, elle le savait, elle était partout et rien n'échappait à sa perception fine, adamantine, à sa lumière sombre qui se reflétait en réverbères, en milles cerbères, dans chaque coin de rue ; éphémère et sibylline, la nuit allait, et elle allait pour sûr, frapper un grand coup dans ces poitrines frémissantes d'adolescents noirs des cendres de leurs méfaits inconscients, la nuit allait tuer, des espoirs dans le nid des colombes, ce soir – c’était une nuit crépusculaire pour la suite de toute une vie.

les malheurs de Sophie.  Ofpqgo

Elle avait le sang rouge, ce qui faisait d'elle en somme, une jeune fille très commune.
Son hémoglobine avait recouvert la plus grande partie de ce bout d'os qui lui sortait du bras, au point de désormais couler en cascades sur le toit gris de cet immeuble. La flaque avait entamé la blancheur de ses chaussures de sport, portées avec une certaine élégance, conservées dans leur couleur d'origine depuis le premier jour – jusqu'à aujourd'hui – et le liquide abondant était sur le point de commencer son travail de sape sur les côtés du matelas deux places qui gisait à quelques pas de la rangée de bouteilles vidées plus tôt par une seule personne qui serait mentionnée elle sûrement plus tard ; après tout, il y avait une urgence à traiter, peut-être même plusieurs, qui sait si elle allait pouvoir contenir son hystérie et rester sagement évanouie encore longtemps, qui sait aussi comment se comporter devant une fracture ouverte, qui allait sortir de l'état d'hébétude commun aux êtres forcés de supporter ce spectacle cru dans leur champs de vision pour aller freiner l'hémorragie avec les couvertures pleines de miettes et de cendres, dans un élan de courage, une foultitude de questions dramatique venaient de se poser et l'atmosphère était trop lourde, trop épaisse des nuages salés, pour que quiconque ait envie d'y répondre. C'était soudainement devenu une fête beaucoup moins cool et enjouée que ce que le public attendait de la part d'une bande de lycéens subversifs ; mais ces lycéens subversifs étaient terriblement mal coiffés, ce qui cela par contre était assez prévisible, presque au point de nous faire oublier que Sophie Rostopchine était toujours dans les vapes, en train de plagier inconsciemment ou non la posture du Nu délicat de Picasso, dans un état qui engageait son pronostic vital. Presque ; il aurait suffi de s’appesantir quelque secondes encore sur les yeux dilatés, la face aplatie, les motos payées cher ou volées avec hardiesse qui avaient fait beaucoup de bruit en arrivant, de cette maigre dizaine de jeunes gens et le ton aurait pu perdre sa toxicité si propre aux situations médicales ; l'histoire aurait pu être chantée négligemment sur un air d'accordéon vaudevillesque, à la mélodie dansante, assez pour que notre célébration improvisée reprenne, et que rien n’aurait changé assez violemment pour cesser de faire partie de l'ordinaire.
Hélas, notre videur de bouteilles avait bougé son pavé assez lestement pour perturber l'anatomie – donc la vie - de son invitée – à force de ne voir s'ouvrir ne le cœur ni l'âme, il avait fini par se rabattre sur la peau de la demoiselle. Il avait fait cédé son calme olympien des heures auparavant, sans avoir à déployer de réel effort, tant elle était frêle et malléable, délicieusement friable, quand venait la nuit. Ses cheveux blonds sous les néons lui avaient semblé une nuée d'abeilles, une lumière asphyxiante, fragmentée, ses dents blanches formaient des polygones et des problèmes insolvables, il avait oublié sa justification pour venir, elle en avait trouvé une, pourtant elle n'avait aucune rayon de faire ça, elle était elle après tout, qu'est-ce qu'elle pouvait désirer de plus ? Il avait régurgité un soupire du fond de son estomac, c'était de là d’où partait en général sa mauvaise humeur, en lui donnant au passage un goût de vomi mélangé à de la chips grasse ; il était malade de s'infliger encore une soirée à la regarder s’asseoir en tailleur pendant que les autres s'amuseraient ; encore faire face à la fille qui aimait faire tapisserie dans les soirées que l'on organisait pour elle. Encore – cela allait s’éterniser en encores, en redondances et en platitude dans le scénario, en anaphores poussives - un brouillon, voilà en quoi elle rétrograderait ce souvenir. Ça l'agaçait, il s'était donc fait plusieurs cocktails mélangeant sa vodka et ses mauvais sentiments, son venin avec un reste de fanta, puis avait versé ses regrets dans un gobelet en plastique qui avait atterris sur la tête d'un passant ou dans les géraniums d'une retraitée, il l'ignorait. Il n'était pas aussi concentré que le taux d'alcool de ce qui passait entre ses doigts et son prénom avait d'un coup cessé d'être une constante pour lui ; tangent, ce qui déroulait sous ses yeux se floutait progressivement. Tout ce dont il était sûr, c'était d'être très en colère, comme un petit enfant, aussi, d'avoir un caprice à faire, une raison de se rouler par terre et de taper du pied, pied qui lui démangeait douloureusement depuis des mois. Quelle grosse colère cela allait être ; elle allait durer des lignes et des lignes et il allait se fâcher si fort, à en ratisser tous les champs lexicaux, à en allumer les canaux sensoriels du premier visiteur venu, que son courroux serait d'anthologie – une pièce maîtresse de son recueil d'humeurs.
Mais cette pièce allait devoir patienter encore, car Sophie Rostopchine était assez centrale et spectaculaire sans même avoir à ouvrir autre chose que son bras, pour que l'attention se reporte vers elle. On avait enfin composer le numéro des secours ; on, ce débrouillard et indéfinissable « on », avait aussi vomit dans un coin avant d'aller enrober le membre sinistré dans un manteau propre, puis de déplacer le corps chétif sur un matelas pour le descendre minutieusement au rez-de-chaussée où des gens qualifiés transporteraient la blessée dans un lieu ou même ses litres de sangs, ne suffiraient pas à souiller le blanc des murs, le blanc des ciels, le blanc des gens – et le quotidien reprendrait son cours pour l’ensemble de l’humanité moins elle.

C'était une lycéenne qui sentait le froid et l’anesthésie s'immiscer dans ses sentiments
C'était une lycéenne qui s’appelait par son prénom pour oublier qu'elle avait une famille, une lycéenne d'organes, de viscosités, de tissus et de globules ; une lycéenne qui babillait quand on lui demandait une opinion, une lycéenne registrée, enregistrée, une signature numérisée, des cartes de paiement, des lettres en majuscules d'imprimeries sur des papiers d'identités, un citoyenne, une enfant légitime, un visage sur des écrans de surveillance, des tickets de caisses, des relevés de notes réguliers, c'était une votante en devenir soumise aux lois de son état, c'était quelqu'un, elle était pleines de nombres qui se baladaient pour la définir dans des ordinateurs, des archives de messagerie, du papier datable facilement, des vérités biologiques et administratives.
C'était une lycéenne et aussi la réincarnation d'une comtesse ayant écrit des romans pour des compagnies de chemin de fer, pour distraire les enfants, pour éduquer, c'était donc aussi un chiffre d'affaire et une lignée barbare, un passé déjà connu dans ses aspérités.
Elle se définissait à travers ce qu'elle acceptait de dire – elle était pourtant ce qu'elle cachait avec acharnement.


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    J'ai faim. Elle est encore venue et elle m'a privé de repas. Elle ne me l'a même pas dit ; elle a juste pris mes couverts et s'est découpé une tranche de mon poulet, puis elle a grignoté le riz, assez pour me donner envie, trop peu pour qu'il n'en reste pas de quoi me donner faim. Ensuite elle a ouvert l'opercule, elle a trempé ses lèvres dans la mousse au chocolat, elle savait que je ne toucherais pas à la mousse au chocolat – tu sais, la politesse, on ne mélange pas sa salive à celle d'autrui, question d'étiquette. Mais le riz. Aucune règle ne mentionne qu'il ne faut pas goûter le riz de sa mère, surtout que c'est du riz propre, désinfecté, aseptisé, du riz d’hôpital réglementaire et qui ne se corrompait pas pour de la salive. J'avais faim. J'ai pris la fourchette, elle l'a remarqué, et là, tu sais ce qu'elle a fait ? Tu ne le devines pas ? Madame ma mère a donné une petite tape sur ma main et est allé reporter le plateau en disant que je n'étais pas en appétit ces derniers temps – qu'on me servait trop largement.


C'était scandaleusement commun pour la famille Rostopchine ; alors il haussa un sourcil, interpellé par le simple fait qu'elle ait pris la peine de le mentionner. Sa voix plongeait dans des tonalités graves de fatigues ; elle s'épuisait à écouter, se plaindre, à commenter le premier mouvement qu'elle observait – sa chambre cubique comme une télévision ne lui offrait aucune distraction satisfaisante et avait un autre désavantage, celui de ne présenter aucune télécommande capable de réduire le volume des conversations, ni d'ailleurs de changer de visiteur en cours de route. Elle était forcée de supporter le défilement de ceux que l'administration autorisait à visiter son petit temple des pilules, son mausolée multicablé, le sanctuaire de diagrammes alarmants – son modeste dortoir privé pour enfants riches et fracassés. Mais elle appréciait la compagnie de Paul. Elle était sûre qu'il était quelqu'un qu'elle aimait – tendrement.
Il était déjà robuste, vif, comme la « vieille Sophie » - c'était le surnom affectueux qu'elle donnait à la Comtesse – l'avait imaginé, la physionomie fine, ciselée, avec des cheveux fous qui se baladaient entre ses yeux courbés, taillés en amande, et le chemin empourpré de ses joues roses, cadeau de la nature qui lui donnaient ce charme incisif, cet amplitude de gestes quand son tempérament subissait des oscillations ; il possédait un timbre clair, naïf, c'était un garçon spontanément charmant, qui discutait sans entamer le dialogue, qui n'avait pas de tact et qui ne serait pas amené à en acquérir avant son aventure. Néanmoins, elle n'allait pas aller le lui dire, ni laisser échapper quelque autre indice ; le destin abusait de métaphores avec ses personnages, et même elle, l'auteur, ignorait quel naufrage attendant son cher Paul. Sûrement un naufrage à sec ; une chute sur une surface rugueuse, un tour de passe-passe qui séparerait le petit garçon de la petite fille – ces deux entités naïves qui jusqu'alors suivaient sans un écart la trame narrative de leurs existences – ils étaient promis tous deux à une chute brutale, pour qu'ils se croient morts, l'un dans l'esprit de l'autre. C'était l'effet voulu ; la souffrance n'allait pas être entière sans ça – et la souffrance devait être cathartique, destinée qu'elle était à choquer les enfants pendant des siècles ; elle était l'ingrédient banalisé de toute fable à morale chrétienne. Indispensable et pesante ; nécessité difficile à accepter.
Elle espérait que Paul ne se rebellerait pas contre son futur prédéfini, dans un élan d'ignorance ; de Ségur avait soigné sa fin heureuse pour lui, et Sophie ne pouvait pas le nier – il tenait une place particulière dans son cœur ; c'était son préféré de ceux qu'elle avait rencontré pour l'instant. Elle ne voulait pas qu'il disparaisse. Elle avait encore besoin de lui ; le temps que les os se ressoudent et que son myocarde se mettre à pulser.
Elle avait tant à lui raconter.

    Allez. Tu pourrais me le dire que ça ne t'intéresse pas, mes tracas de malade. Je ne suis pas capricieuse, de toute façon on m'a donné des médicaments pour me ramollir un peu, je me sens toute chose. Tu sais, triste. Pas parce qu'on m'a fait très mal avec un pavé. Au début c'était triste. Mais ça va mieux. Je crois que ça a atténué mon côté hystérique. Tu ne me trouves pas moins hystérique, Paul ?
    Oui. Tu... tu vas beaucoup mieux, Sophie. Je m'inquiétais un peu pour toi ces derniers temps mais je suis totalement rassuré maintenant que tu es en sécurité, dans un hôpital. Tu ne peux plus aller nulle part faire tes bêtises.
    C'est toi qui me dis ça ? Tu dois avoir du travail avec elle. Hématomes, fatigue, tu présentes tous les symptômes du retour de chez ta douce amie. Elle n'est même pas dans un hôpital, notre Sagesse. Elle n'est pas neutralisée – pour l'instant.
    Mais tu ne l'as jamais vu ! Tu ne peux pas savoir si elle est terrible ou si c'est moi qui exagère parce que je suis en colère. C'est très péremptoire de ta part d'affirmer qu'elle me fait des misères.
    Tu te contredis tout seul.
    Au moins je ne mens pas tout à fait – pas comme toi.
    Que veux-tu que je te raconte sincèrement, alors, mon cher Paul ? Regarde, je ne peux pas bouger, je suis à la merci de tes questions, j'ai la tête nuageuse, je n'ai pas le matériel pour imaginer un bon mensonge. Jouons au policier et au voleur.
    D'accord.


Il se releva, cherchant une idée dans le décor qui l'entourait.
D'un pas léger, il ressortir de la pièce, referma la porte doucement, marcha vingt secondes avec insistance avec de faire tourner à nouveau la poignée. Cette fois, il avait arrangé les mèches qui lui barraient le visage ; son air sérieux, ses lunettes sur le bout de son nez froncé, elle le regardait et se réjouissait de savoir qu'il n'était pas fâchée ; sinon, il ne se serait pas creusé pour lui offrir ce spectacle de guignol – elle lui en était d'avance reconnaissante et excitée de découvrir ses autres trouvailles d'acteurs. Elle pétillait de joie, explosait abruptement, sourdement, sous sa poitrine – silence était de rigueur lorsque Paul acceptait de l'amuser un peu.
Il la saisit au poignet, qu'il feignit de tordre ; sa paume chaude s'apposa fermement sur l'épiderme de son voleur, tandis qu'il respirait péniblement pour pouvoir sortir une grosse voix digne de ce nom.

    Vous êtes en état d'arrestation, Mademoiselle Rostopchine. Ah ! Vous avez cru pouvoir échapper à ma poigne ! Mais la justice brûle mes doigts – tandis que votre carcasse, vandale, est froide des nuits passées à fuir – vous ne me tromperez pas !
    Et qu'aurais-je donc à fuir, commissaire ?
    Par Dieu... moi ! Car maintenant vous ne pouvez plus vous cacher ; vous allez devoir payer pour vos écarts, vos terribles écarts à la loi, qui sont …
    Ne vous fatiguez pas – je compléterais. Je suis responsable, oh, de bien des misères du mondes ! J’ai voulu posséder, de gourmandise j’ai péché. J'ai volé – aux étalages d'abord, puis dans les maisons, avant de finir par les poches. J'ai menti – à mes professeurs, à mes amis, sur mon âge, sur ma famille – pour m'amuser !
    Vous avez été formidablement élusive sur cette dernière, en effet.
    Comprenez-moi, vous, vous qui servez le bien comme mon père en son temps ! Il a fait la révolution, il s'est rebellé, mais trop conventionnellement – et pourtant il fut très aimé. Puis il a ressenti l'urgence de partir, il est donc partis, et je n'avais qu'une mère âcre à mes côtés qui, au lieu de m'épauler, se ravissait de me poignarder de plus belle ! Pourtant le hasard a voulu que nous restâmes fortunées et je ne puis excuser mes actes d’une nécessité dont ils ne relevaient pas.
    Votre honnêteté vous honore, dame vagabonde – n'avez-vous pas d'autre maux à confesser avant que je prononce votre châtiment ?
    Le crime est conséquent, je le crains ! Mauvaises fréquentations ne nourrissent pas, vous savez, commissaire. J'ai si mal choisi mes amis, que, vous pouvez le voir, les bras m'en tombent ou se brisent. Puis la filouterie ne remplit pas les ventres ; et à force de dérober fourniture, j'en ai oublié comment l'on arrache le quignon de pain à la baguette des passantes, quand l’on veut désespérément éviter le souper familial dont la soupe est si infecte qu’elle ferait tomber des dents. J'ai très faim. Auriez-vous des oranges ? C'est bien ce que l'on donne aux détenus, des oranges ?
    Je peux vous faire la grâce d'une orange ; mais je vous condamne à me faire rapport de votre conduite et de vos actes chaque semaine à partir d'aujourd'hui. Jusqu'au jour où je vous jugerais repentie pleinement ; ce jour-là vous serez libre.


Elle s'étouffa avec sa bouffée d'air. Paul, le Paul qu'elle avait imaginé, enfin, elle, son autre elle, Paul, création, personnage presque principal, revêche, venait d'agir avec elle comme si il était Paul, auteur reconnu, étudié dans les écoles, homme à la plume infinie, écrivain des célèbres Malheurs de Sophie. Elle l'avait cherché – on ne joue pas à endosser des rôles quand ce n'est pas pour cela que le destin nous a engagé. On ne passe pas de contrats avec le concurrent ; on ne vend pas ses droits pour une once de soulagement, de la paix en bâtons d'encens, ça n'existait pas à Cassandre, la liberté, et ça ne se marchandait pas avec ses propres prisonniers. On ne pouvait jouer à la dinette quand sur la table s’étalaient des choses qui comptaient vraiment ; et les pommes charnues du pêché, les citrons jaunes misères des larmes acides, s’échangeaient au prix des éclaboussures de sang rouge, contre les nèfles du pardon ; oh, comme l’innocence durement marchandée avait bon goût contre les langues corrompues… Comme Sophie aurait aimé promettre à Paul d’aller frotter son linge sale chaque dimanche dans la rivière des confessions … elle voyait la pénitence se profiler lentement, inexorablement, elle l’avait écrit si souvent ce mot, Rostopchine la première du nom, pour que le fait lui soit étranger – ses ardeurs enfantines avaient été rouées de religion pour qu’elle s’assagisse enfin.

    Je… tu… tu fais très bien le policier.

    Tu m’as entendue ! Viendras-tu me voir chaque samedi, ou ai-je affaire à pire criminelle que je ne pense ?
    Arrête. Arrête, tu m’embêtes, c’est ma vie, tu n’es pas Noctem, je n’ai aucun agenda pour noter un rendez-vous, alors non.
    Très bien ! Casse-toi tous les membres que tu veux. Je ne viendrais plus voir une capricieuse. Je resterais avec Sagesse. Elle est au moins plus amusante que toi. Bonne soirée, Sophie.


Il ne revint pas et elle dîna de pain gris, sous un plafond de graffitis imaginaires et de gravures au compas, et elle rêvassa plus fort, que la main d’un ange avait apposé d’un trait de peinture dans un des angles de la pièce, une petite malédiction pour se venger de la bêtise humaine.
Mais ces fantasmes n’empêchaient pas la vérité de continuer à exister ; ni n’effaçaient le fait qu’elle venait se blesser, sciemment et cruellement, le plus précieux de ses amis – parce qu’elle avait pensé voir dans la possibilité d’être bonne, celle d’être plus tourmentée encore.


    Bonjour, Sophie.

Il était tôt et elle se trouvait bouffie comme jamais, tuméfiée, gonflée, pleine d’œdèmes, elle avait passé une mauvaise soirée et un œil clément l'aurait trouvé affreuse - mais avec quelques circonstances atténuantes, sûrement. L’œil clément aurait aussi tendu une main clémente vers cette rosée de larmes du matin qui tombaient en continu - mais elle pleurait trop pour ne pas exaspérer cette femme droite, dans sa chambre, qu'elle devait appeler, avec toute la déférence qu'elle pouvait se forcer à déglutir, sa mère. Et l'engeance qui se délitait en sanglots devant son bol de céréales sans lait, remuant l'appétissant petit-déjeuner de sa main disponible, humectant la nourriture sèche de gouttelettes salées d'amertume, la délinquante qui demanderait de la pitié d'une seconde à l'autre – ne souleva aucun sursaut dans le cœur de cette dame qui s'était drapé dans une étole de politesses et de convenances pour rendre une visite de pure courtoisie avant de partir prendre des cafés sans sucre le plus loin possible d'ici.
Au moins, pleurer lui coupe l'appétit, se félicita Madame Rostopchine avant de reprendre la parole.

    Je viens de dire « bonjour », Sophie.
    Bonjour, mère, crachota-t-elle.

Elle n'avait pas passé la bonne soirée que lui avait souhaitée Paul et ses cauchemars l'avaient empêché de dormir ; une psychologue devait se déplacer pour la voir dans moins de deux heures, et le spectacle qu'elle offrirait serait navrant. Elle avait d'ores et déjà l'impression d'être une morgue complète, faites de milles cadavres à reconnaître, attendant patiemment que leur famille vienne reconnaitre cette armée de trépassés, elle avait le sentiment d'être une foultitude de mortes en même temps – un cimetière dans un paradis de nacre, une tâche verte d'algues qu'un ange viendrait balayer, pour l'emmener là où elle se sentirait moins seule ; dans des égouts ou on ne la chercherait pas. L'anonymat devait ricaner là où il se terrait ; car dans cette chambre d’hôpital, elle ne leur échapperait pas. Ses fantômes de vent l'avaient déjà trouvé ; ceux de chairs étaient en marche. Et ils défileraient – lentement.
Elle n'avait rien pour se défendre, elle espérait – d'une espérance trop ridicule pour être mentionnée face à cette insensible maman.

    Tu devrais finir tes céréales. C'est une longue journée qu'aujourd'hui pour toi. Je passais juste pour te délivrer ces petits livres. Ce n'est pas de la littérature et ça encombrait les placards.
    Je ne peux pas tourner les pages et tenir les ouvrages en même temps, mère, je suis infirme.
    Je t'ai fait un cadeau, Sophie.
    Merci, mère.

Les auteurs de bas étages s'étalèrent sur le carrelage blanc dans un bruit sourd et les talons se tournèrent presque d'eux-mêmes en direction de la sortie. La porte fut fermée, les céréales dégluties, et Sophie dans sa froide cellule médicale, sentie un vent de passivité souffler, retomba dans le sommeil du tourmenté, laissant choir les céréales, commençant à s'habituer aux grands fracas.

« Cher Jean,
On a failli m'amputer. Je crois que ça aide à remettre les choses en perspectives, non ? On est très insouciant, en général, avant de rencontrer quelqu'un qui vient dire avec un sourire vraiment grand, un médecin ravi comme jamais, qu'on ne va pas vous retirer le bras et que vous vous en sortez donc bien – mais il a totalement raison, je m'en sors très bien, pour une fille qui méritait de se prendre un pavé avec une forte vélocité, dans le bras. Avant je me disais que je m'en sortirais bien si je ne me faisais pas prendre à te fréquenter. Je tenais la parfaite définition de l'adrénaline – le besoin de passer devant un radar, un phare, jusqu'à sentir que sa cape d'invisibilité commence à s'étioler juste assez pour ressentir le risque. Évidemment, je me contentais de le ressentir.
Maintenant j'ai du risque plein le bras et tout ce que j'arrive à faire, c'est pleurer, petite fille prise la main dans le panier à bonbons défendus, parce que j'ai fait beaucoup de bêtises et que j'ai la preuve tangible que je ne suis pas aimable – dans le sens que l’on n’arrivera pas à m'aimer, même en se forçant beaucoup. Et je sais ce que je dois dire pour que cela s'arrête : je me repends. Va deviner à quelle corde je m'étais pendue la première fois, mais je m'y repends. Est-ce que j'ai un tabouret assez haut pour atteindre cette grosse ficelle de pauvre, que j’ai tissé de mes bêtises, du reste, et passer à mon coup ce licol de brave animal ? Est-ce que je serais un âne savant ? J'en suis déjà un peu un ; j'étais douée à l'école parce que mon esprit se plie bien aux coups de bâtons. Une réincarnation fidèle à l'original.
Les autres m’ont rendus des visites de courtoisie – une courtoisie fort courte, néanmoins moins éprouvante que ce que je m’étais figuré. Je suis inatteignable physiquement ; mes remerciements pour cela. Le moins lâche de notre ancienne bande m’a giflé. Les lâches se sont satisfait de me dresser mon portrait dépréciatif ; le plus blessant a été de prendre conscience qu’ils ne se fourvoyaient pas. Je me demande ce que Ségur en son époque fastueuse a dû endurer. Pourquoi il lui a fallu tant de temps pour être en paix avec elle-même au point d'avoir un couple branlant, de la famille, et de s'en satisfaire. Le problème c'est que je me le demande et que je n'ai pas la patience d'attendre que la réponse m'arrive, me percute, et me terrasse d'évidence. C'est une de ses questions – qui une fois la solution connue, cessent d'être intéressantes. Alors on les laisse en flottement.
Pour maintenir une once de suspense dans cette triste misère d'enfants. 
Tu l’ignores, mais des décennies de religion m’ordonnent de pardonner à celui qui m’offense et d’aller me confesser pour avoir éprouvé de la rancœur à ton égard – la liste de petits péchés à dérouler après est longue, d’ailleurs. Là où s’arrête le péché commence la liberté et cette folle échevelée se remue diablement si on ne la tiens pas en cage… J’ai une brûlure dans les doigts depuis quelques jours. J’ai envie de raconter des histoires qui se terminent bien – de me distraire ; il y a de l’alcool à quatre-vingt-dix degrés dans le « ils vécurent heureux et n’eurent plus jamais à se préoccuper de leur destin » qui conclue les contes de fées, et ça diminue la souffrance des infections. Car oui, j’ai des infections. Une fille plus perfide ou plus poète que moi aurait même pu dire : une collection d’infections. Pour te faire mal à travers mon propre mal – seulement tu ne souffriras pas dans le processus.
Je préfère que tu te demandes, tout seul, si c’est de ta faute, ou celle de mon tempérament, de ma sale figure, de mes tournures, de mon esprit engoncé dans ses dentelles, même de l’alignement des étoiles, si tu peux te dédouaner et rejeter la faute sur le pavé - ou pas, Jean. Demande-toi si j’étais en danger. Demande-toi si tu es une bonne personne. Sois sincère et réponds non.
Adieu Jean – nos chemins ne se croiseront plus, tu as mon serment. »


les malheurs de Sophie.  10mk6eq

Les livres de Sophie Rostopchine, empilés tels une série de dominos prêts à tomber, répartis sur plusieurs étagères, gardaient la paix de sa chambre et contemplaient respectueusement son repos ; aucun d'entre eux n'auraient osé tomber et troubler leur jeune maîtresse qui, pendant ces longs mois d'absence, entre hôpital et folies nocturnes, avait beaucoup manqué à leur assemblée – une impatience, un frémissement d'envie à l'idée qu'elle allait leur permettre à nouveau de s'exprimer, de hurler ou d'émettre leurs murmures de confidence, agitait les rangées des vieux romans et enflammait les piles plus informes des recueils de poèmes et transcriptions écrites de pièces de théâtre ; chacun voulait débattre encore avec les demoiselles changeantes, les personnalités paradoxales appartenant à cette adolescente au nez enfoui pour l'instant dans le manteau stellaire de Morphée – les livres attendaient leurs amies.
Certains voulaient discuter avec la petite fille de six ans, présente depuis si longtemps, qui s'accrochait pour de pas être effacée par une maturité de plus en plus envahissante, certains voulaient discuter avec l'enfantine Sophie pour lui raconter des histoires, la bercer, la border avec du fantastique et du merveilleux, pour qu'elle ouvre les yeux grands dans son sommeil. Et la petite fille était là – dans l'air, avec les autres, car certains désiraient s'entretenir de sujets d'importance avec la vivacité de Sophie la lucide, Sophie la curieuse, l'intrépide, l'aventurière, la frivole ou la facétieuse, même avec Sophie l'entière, pour modestement la serrer entre leurs pages et consoler son bras rescapé avec ces contes de miracles qui étaient fait pour soigner les âmes déçues.
Les livres tristes constatèrent néanmoins avec tristesse l'attristante disparition de Sophie l'arriviste, la rebelle, la coléreuse ou l'inconsolée, la capricieuse dont la sourde oreille s’était métamorphosé en calme épais, et pleurèrent des rimes plates sur la disparition de la très belle Sophie désobéissante dont le cortège funèbre trônait juste au-dessus du lit de cette délicate endormie qu'il ne fallait pas déranger pour l'instant. On ne lui avait pas trouvé de nom, encore. Les livres, hésitants, l’appelaient Sophie la différente – elle présentait une infime nuance si on la comparait avec la Sophie du passé. Ce n'était pas ses cheveux, ses sourcils, ses cils, son œil, sa pupille, c'était dedans qu'il fallait chercher ; Sophie la toute nouvelle avait cette plante jade qui lui prenait la moitié du cœur, une tolérance verdissante dont la première feuille n'avait pas encore fendu la peau pour se montrer au peuple de la ville.
Elle allait devoir attendre que la fleur pousse et délivre l'antidote à la mauvaiseté dont elle n'était pas débarrassée. Mais désormais elle savait – que ce n'était pas pour toujours.
Qu’elle était assez bonne – pour espérer une rédemption ; et c’est pourquoi dans ce lit, Sophie la pénitente eut un sommeil sans encombres et se réveilla ravie de voir que tous les malheurs du monde, ne suffisaient pas à empêcher le soleil de briller sur les crânes nus des passants.


Le Retour à la terre

J'avais entrepris une lutte insensée ! Je combattais la misère avec ma plume.
▬ Balzac
Pseudonyme :Alice
Sexe : F.
Âge : J'ai pris seize ans récemment.
Source de l'avatar : Rose Lalonde, Homestuck.
Comment avez-vous découvert SQE ? ... Bouche-à-oreille IRL.
Des questions, des réclamations ? Ne me frappez pas si je n'ai rien pigé ;____;
Petit précis de ségurisme; Désolé j'ai pris un auteur pas très connu alors des précisions s'impose ; Jean est le Jean de " Jean qui rit et Jean qui grogne ", Paul & Sagesse sont des Malheurs de Sophie. J'ai interprété un peu librement la vie de la Comtesse, le problème étant qu'elle a commencé à écrire taaaaard dans sa vieillesse ; comme elle a avoué plus ou moins dans ses écrits que Sophie des Malheurs de Sophie était son self-insert je me suis surtout basé sur ça.
les malheurs de Sophie.  2it6feh
 
Pétunia Œ. de Thèbes
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Je n'ai pas cru dès lors pouvoir laisser à d'autres le soin d'entendre votre appel, je suis venu à vous moi-même, mes enfants, moi, Œdipe — Œdipe au nom que nul n'ignore.
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Que pensez-vous de Noctem ? :
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MessageSujet: Re: les malheurs de Sophie.    les malheurs de Sophie.  Empty17.07.12 22:55

Je devrais te gronder et tu sais quoi je vais le faire COMMENT AS-TU PU OSER NOUS FAIRE ATTENDRE AUTANT POUR UNE FICHE AUSSI autant enfin mais je tu hein.
COMPRIS ?!
ET QUE JE NE GT'Y REPRZ- erf attends je reprends mes esprits puis je reprends le clavier.

bref.

ET QUE JE NE T'Y REPRENNE PLUS, PETITE SAGOUIN !
Je te valide quand même mais ça c'est parce que je suis trop magnanime.
Sur ce je m'en vais changer de culotte avec dignité.
ADIEU.
 
 

les malheurs de Sophie.

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