There's no shame in pleasure.
Each of us has heaven and hell in him.
Youth! There is nothing like it.
“ Toutes ces duperies, ces conjurations infinies... Ces livres reliés de peau des nourrissons, les pentacles de feu, buvant le sang des vierges... Dorian n'oserait pas réellement pactiser avec Satan. Vous le feriez, Dorian ? ... Vous le feriez ? ”
✞
— C'est rare de te voir à la maison pour le petit-déjeuner, Uriel.— Il faut bien, je ne te vois pas aux diners en ce moment.
Silence. Les frères Gray se fixent d'un bout à l'autre de leur table éclairée par la véranda, l'un par dessus la dernière édition du journal, l'autre par dessus sa tasse de café. L'absinthe défie l'azur et s'y perd, après tout, il peut bien le laisser parler, le pauvre. C'est tout ce qui lui reste aujourd'hui. Pendant des années, Nathaniel avait grandi dans l'ombre d'Uriel, finissant par agir par mimétisme. Car oui, quand il était petit, il l'admirait ; qu'Uriel l'ignore ne l'avait pas découragé.
Ce que beaucoup ne savent pas cependant, en voyant l'assurance du blondinet aujourd'hui et les rapports froids qu'il entretient avec son frère, c'est qu'étant plus jeune, il avait tout fait pour lui ressembler. Pour que lui aussi, au moment venu, on le complimente, et on le flatte. Le jugement d'Uriel avait droit divin, et personne ne pouvait le voir dans le mauvais rôle. Et il en a souffert. Sauf qu'il était trop naïf et admiratif du rayonnement de son grand frère pour lui en vouloir. Du moins... jusqu'à ce jour fatidique où il prit conscience de sa vie passée, toute tracée.
Oh oui ! Quel bonheur ça a été ! Sur le moment, lorsqu'il était rentré et qu'il avait découvert la maison déserte au soir, après sa première séance photo avec Samuel, il n'avait pas tout de suite fait le lien avec la révélation qu'il avait eue plus tôt. Puis quand il avait rejoint sa famille à l'hôpital et qu'il avait vu dans quel état était son frère... Vieux de plusieurs décennies ! "Un mystère médical", c'est tout ce qu'avaient pu conclure les médecins. Mais lui, lui, il savait. Il avait comprit. A l'instant même où son regard avait croisé celui, haineux et affaibli, de son frère ainé, il avait compris que lui aussi, il avait eut sa révélation. Quelle douce vengeance depuis lors ! Lui, se révéler être la réincarnation de son portrait ?!
— Bon, c'est pas tout, mais la vie m'attend. Bonne journée !•••
Sur la place de la Fontaine, à la terrasse d'un café, Nathaniel partageait un verre avec Samuel. Il venait de gober la cerise confite qui décorait sa Piña Colada quand il reconnu la lueur habitant les yeux de son meilleur ami. Encore ça...
— Je connais ce regard, Sam.— Alors tu sais ce que ça veut dire ! Allez, Nath !
— Hm... Chez toi ou chez moi ?— Je sais pas encore.
Il avait ce petit sourire complice, ce regard rieur de l'enfant à qui on venait d'accepter le caprice. Tout deux observèrent un instant la foule traversant la place, savourant cet instant de légèreté ; ils avaient toute la journée encore devant eux, et comptaient la passer ensemble. Samuel passa un coup de téléphone mais Nathaniel était perdu dans ses pensées, et n'y faisait pas attention.
Chaque nouvelle lubie artistique de son meilleur ami flattait son égo et, il devait le reconnaitre, c'était un sentiment délicieux. Se savoir la source d'inspiration d'un artiste était une position bien singulière, qui n'était pas donnée à tout le monde. Le meilleur dans tout ça ? Savoir que c'était écrit. Que c'était naturel et inévitable.
Parce que, après tout, Oscar l'avait écrit. Il les avait fait amis dans son œuvre, leur rencontre à Cassandre était donc inéluctable. Même si Oscar n'avait pas fait grand chose pour les rassembler... Maintenant qu'il y pensait, peut-être voulait-il le garder pour lui, son héros ? Nathaniel n'avait jamais vraiment compris ces regards silencieux qui avaient marqués ses souvenirs d'enfance, parmi les images de ces deux enfants qui avaient fait les 400 coups, deux enfants qu'il pouvait encore voir courir autour de la place de la fontaine.
Il se souvient de leur rencontre à l'école primaire comme si c'était hier. Un jour, Oscar était venu le voir avec le regard brillant, pour lui dire un "C'est toi !" qui avait chamboulé sa vie, et étreint son petit cœur d'enfant. Car Oscar avait été le premier à porter un intérêt pour lui et non pas pour Uriel, cette rencontre fut donc quelque chose de très précieux et de salvateur pour Nathaniel. Même si ce n'était plus le cas maintenant. Même si Oscar ne lui adressait plus la parole. Nathaniel ne s'en préoccupait plus, il avait bien mieux à faire maintenant. Et pourtant...
— Devine quoi ? déclara Samuel avec un sourire goguenard en l'arrachant de ses pensées après avoir raccroché le téléphone. L'appartement est vide, mes parents sont sortis eux aussi ! Tu n'as rien de prévu, n'est-ce pas ?
Nathaniel secoua la tête en agitant ses mèches blondes, et lui répondit d'un sourire. Ils finirent leurs verres et en se levant, il déposa un billet sur la table avant de partir. Et la monnaie ? Bitch please, Nathaniel n'a jamais eut à se soucier de ça.
•••
Clic. Clic. Craac. A l'ombre des feuillages divers et variés du jardin de Samuel et entre deux cliquetis de son appareil, Nathaniel fendait une pomme juteuse à pleines dents. Ses canines incisaient la peau rougeâtre du fruit qui ne faisait que contraster d'avantage son teint laiteux, et un fin sillon de jus maculait de sa course la gorge du jeune homme. Avec ses mèches d'or décoiffées minutieusement et son maquillage ocre et miel, on l'aurait cru sorti tout droit d'une légende grecque.
L'atmosphère était lourde. L'odeur des fleurs était entêtante, étourdissante. La tête renversée, les lèvres du mannequin brillaient, humides de la même eau qui perlait sur la cerise qu'elles maintenaient prisonnière. Les heures passaient et les fruits défilaient ; baies, fraises, fruit du dragon, pêches... Nathaniel commençait à être repu de tant de nourriture, mais son ami lui ne pouvait pas paraitre plus euphorique. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir... Samuel prenait bien soin de lui : il était chouchouté, délicatement manié, jamais brusqué. Nathaniel se laissait donc aller au jeu des essayages, y prenait du plaisir. Il ne le montrait qu'une fois seul à seul avec son photographe, lorsqu'il posait pour lui et fixait son objectif... a l'en troubler.
Il jouait avec une grappe de raisins noirs, cherchant la pose idéale, quand un cliquetis de verrou le sauva, interrompant Samuel dans son élan. Le blond se lança sur sa veste pour se rhabiller d'un air furtif (porter une blouse sous sa veste ? so last season) mais le bruit distinctif des chaussures de l'ainé Wotton le rassura sur l'instant. Il se tourna et déposa son regard sur la silhouette d'Alexander qui s'était dessinée dans l'encadrement de la double porte vitrée.
— Bonsoir, les jeunes. Des fruits, hm ? Bonne idée. dit le journaliste en ne regardant que rapidement son petit frère. Il préféra poser ses yeux sur son modèle. Je suis sûr que la pomme allait très bien à Nathaniel.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Qu'importe, juste, ne fais pas de bruit.
Lorsque Alexander vint chercher la pomme à moitié entamée par Nathaniel, en lécha le jus qui en coulait encore sans le quitter des yeux avant de la croquer, il avait beaucoup plus d'assurance que le jour où ils s'étaient rencontrés. Pas qu'il en manquait, mais au fil des rencontres avec le grand frère de son meilleur ami, le jeune homme s'était rendu compte qu'il pouvait faire preuve de beaucoup plus d'audace et de charisme. Cette rencontre les avait transformés, peut-être plus que sa rencontre avec Oscar.
A l'inverse d'Oscar, ou même de Samuel, Alexander l'avait comme révélé à lui-même, à la manière d'un levier, usant de ses mots habiles. Il lui a insufflé le courage nécessaire pour le faire entrer dans son monde, travaille toujours un peu plus pour lui donner gout à l'interdit, le fidélise au secret et à son univers. Il en est devenu accroc. Maintenant, c'est lui qui commence à aller vers Alexander, à lui demander quelle sera sa prochaine petite fête, quelle nouvelle expérience est en vogue à Cassandre.
•••
Son regard était vague, embué. Les veines à ses poignets palpitaient, bloquées par des liens serrés, et sa bouche humide et entrouverte quémandait des baisers. De n'importe qui, du moment qu'une langue vienne rivaliser avec la caresse du fouet qui électrisait son dos. De toutes façons, il n'en garderait aucune cicatrice. C'était écrit, non ? Il ne faisait rien de mal. Il était béni. Il se complaisait dans le vice, vivait une vie de plaisirs et d'excès alimentée et orchestrée par la voix suave de son mentor, en toute liberté. Parce que tout les effets de ses péchés se répercuteraient sur Uriel. Oui, il était béni. Qui ne rêverait pas d'une vie pareille ? Il n'avait qu'à suivre les conseils d'Alexander, et vivre sa vie à 100%. Ce dernier devait être là, quelque part dans cette pièce obscure ; il sentait son parfum enivrant et si viril.
Que pensait-il ? Était-il fier ? Quelque part, Nathaniel en avait fait un objectif. A ce moment là de sa vie, plus particulièrement lors de ces moments intimistes et secrets, c'était tout ce qui importait. Le surprendre, cultiver son imaginaire pervers, lui donner envie de l'entrainer dans encore plus d'aventures grivoises et malsaines. Alexander était son roi, lorsqu'on ordonnait (pour lui ?) de le frapper plus fort, Alexander était sa drogue, lorsqu'il oubliait les sermons d'Uriel, les sourires d'Oscar et le regard de Samuel. Ses mots lui faisaient oublier la situation en ville, cette histoire de réincarnation, de destin tout tracé.
Puis il rencontra Isobel. Samuel lui avait demandé de le rejoindre dans l'amphithéâtre de l'université à la pause midi, et elle était là, sur la scène. Il lui avait demandé de jouer Juliette, Samuel lui avouera plus tard qu'il adorait quand elle la jouait, et il comprit pourquoi. Du haut d'un escabeau, face à la pénombre, elle écrasait littéralement tout ce que Nathaniel avait connu ; pas seulement au niveau théâtral. Qu'elle fut plus âgée ne le dérangea qu'une fraction de secondes, avant qu'il ne réalise qu'elle était son premier véritable coup de foudre. Il se tenait face à l'inconnu total, et à la manière de sa rencontre avec Alexander, brulait déjà d'une envie irrépressible de la connaitre d'avantage. Peut-être pourrait-elle rivaliser avec la philosophie de vie de son mentor. Il ne demandait qu'à le savoir. Au plus profond de lui, était né un nouvel objectif : capturer Isobel. Il ne la trainerait pas dans le même monde dans lequel le journaliste l'avait initié, non, cette fois c'était différent.
Alors son train de vie subit quelques modifications : aux journées tranquilles avec Samuel autour d'un sandwich au parc ou sous le maquillage de sa dernière idée de shooting, et aux soirées licencieuses ornementées d'alcool et d'opium d'Alexander vinrent s'ajouter les instants de jeu, de séduction, avec Isobel. Joli programme, ne trouvez-vous pas ?
To define is to limit.